ÉCONOMIE

Publié le 28 février 2021

«Les banques rêveraient d'une monnaie digitale qui permettrait de tondre la laine sur le dos des Français» Cet économiste dénonce

Gaël Giraud, Économiste et ancien chef de l'Agence française de développement, était l'invité de Salomé Saqué pour un entretien diffusé sur Blast le dimanche 14 février 2021.

«L'Etat français n'est pas capable d'assurer la garantie des comptes de dépôts»

Salomé Saqué: «Quelles seraient les conséquences d'un krach boursier ? Parce que tout ce que l'on a évoqué depuis tout à l'heure, c'est les conséquences de la crise économique qu'on connaît déjà, qu'on va connaître quasiment, pour sûr, dans les prochains mois mais un krach boursier, ce serait vraiment un élément en plus. Là ce serait quoi ?» Gaël Giraud: «La catastrophe totale.» Salomé Saqué: «C'est l'apocalypse ?» Gaël Giraud: «Non, l'apocalypse dans le livre de la Bible, ce n'est pas la fin, c'est pas le black out total, il n'y'a plus rien à manger dans les magasins, etc. Ce n'est pas ça. C'est si vous voulez, on va avoir des grosses institutions financières qui vont faire faillite. L'Etat français n'est pas capable d'assurer la garantie des comptes de dépôts.»

«L'Etat n'est pas capable de tenir la garantie publique»

Gaël Giraud: «Vous savez qu'officiellement en zone euro, la garantie des comptes de dépôts c'est 100 000 euros par compte. Donc, votre compte en banque, il est garanti jusqu'à 100.000 euros par compte et par habitant dans une banque. Donc, si vous avez 150 000 euros, par exemple, la banque vous dit : " Nous, on vous garantit jusqu'à 100 000 euros. Et puis, si jamais on fait faillite, l'Etat va vous donner les 100 000 euros, et puis le reste, ce sera tant pis pour vous. " En fait, même, les 100 000 euros l'Etat n'est pas capable de rembourser cela. Donc, en réalité, l'Etat n'est pas capable de tenir la garantie publique, des comptes de dépôts si c'est une grosse banque.»

«Ils vont rapatrier leur monnaie chez eux, la mettre sagement sous leur matelas»

Gaël Giraud: «Je vous donne un exemple, en 2010, de mémoire, le secteur bancaire chypriote a fait naufrage, totalement. Et donc, en principe, l'Etat devait activer la garantie publique sur les comptes de dépôts chypriotes. Il y a eu un commissaire européen qui a dit : Vous savez, ça va coûter vachement cher, en fait, on n'a pas tellement les moyens de faire ça. " Et il a fait une conférence de presse dans laquelle il a dit : " Écoutez, moi, je m'interroge. Est-ce qu'il faut vraiment tenir coûte que coûte à cette garantie publique sur les comptes de dépôts ? " Et puis, le soir même, il s'est fait appeler par les banquiers qui lui ont dit : " Mon ami, tu vas tout de suite faire un démenti. " Pourquoi ? Parce que si les Français, les Allemands, les Italiens, les Belges comprennent qu'en fait, leurs comptes de dépôts ne sont pas garantis, qu'est-ce qu'ils vont faire ? Ils vont rapatrier leur monnaie chez eux, la mettre sagement sous leur matelas pour ne pas dépendre des banques en faillite. Mais s'ils font ça, ils provoquent la faillite des banques. Ce qu'on appelle le " bank run ", c'est-à-dire le retrait, la course aux guichets pour retirer son argent c'est la hantise des banques. C'est majoritairement comme ça qu'une banque fait très vite faillite en quelques jours.»

«Est-ce que c'est possible qu'on ne puisse plus retirer notre argent qu'on a sur notre compte ?»

Gaël Giraud: «Donc, en fait, le lendemain, il a fait une contre conférence de presse le commissaire européen pour dire : " Écoutez, en fait, je ne savais pas ce que je disais (un peu une fois de plus) bon, évidemment, on va tenir la garantie publique " qui a effectivement été tenue. Mais Chypre, c'est tout petit. Si on a une grosse banque, genre BNP Paribas qui fait faillite, l'Etat français n'est pas capable de tenir la garantie publique sur les comptes de dépôts. Donc là, je ne sais pas ce qui se passe, c'est sûr.» Salomé Saqué: «Est-ce que c'est possible qu'on ne puisse plus retirer notre argent qu'on a sur notre compte, notre PEL ?» Gaël Giraud: «Si les banques font faillite et que l'Etat ne tient pas la garantie, oui, c'est possible que l'on perde notre argent. Oui, oui, tout à fait. C'est pour cela d'ailleurs que les banques sont très favorables à la monnaie digitale, la monnaie numérique. Donc elles nous vendent cela sur le thème : "Mais vous savez, les pièces, les billets, tout, cela c'est moyenâgeux, c'est vraiment médiéval.»

«C'est qu'une fois que vous avez de la monnaie entièrement numérique, vous ne pouvez plus la cacher sous votre matelas»

Gaël Giraud: «En fait, au le 21ème siècle, nous sommes dans l'ère numérique. Ce qui est cool, ce qui est in, c'est la monnaie digitale. " En fait, la grande différence entre une monnaie avec des espèces sonnantes et trébuchantes, monnaie fiduciaire et la monnaie digitale, entièrement numérique, c'est qu'une fois que vous avez de la monnaie entièrement numérique, vous ne pouvez plus la cacher sous votre matelas. Vous ne pouvez pas mettre des lignes de code informatique sous votre matelas. Donc, si la banque vous dit maintenant, vous n'avez plus droit de retirer de l'argent de votre compte en banque. En fait, vous ne pouvez plus le faire, vous voyez ? Vous ne pouvez pas retirer des lignes de code informatique ou bien, par exemple, si la banque vous dit : " Ecoutez, les temps vont tellement mal que je vais prélever, je vais vous tondre la laine sur le dos. Je vais prélever un taux d'intérêt pour bons services rendus sur votre compte en banque de dépôt. " Et voilà, c'est la vie.»

«Ils rêveraient d'une monnaie digitale qui permettrait de tondre la laine sur le dos des Français»

Gaël Giraud: «Parce que les temps sont durs. Vous, vous allez dire si c'est ça, dans ce cas là, je retire mon argent et je vais le mettre sous mon matelas. Personne ne va me tondre la laine sur le dos. Sauf que si c'est la monnaie digitale, vous ne pouvez pas. Donc vous allez essayer de transférer votre compte vers une autre banque, mais l'autre banque va faire la même chose. Parce qu'aujourd'hui, le secteur bancaire français est tellement concentré qu'il n'y a plus que quatre grands géants qui se partagent presque tout, qui ont tout fait, par exemple, pour que les banques extraordinaire comme Triodos, ne puissent pas s'installer sur le territoire français parce qu'elles leur faisaient concurrence.» Salomé Saqué: «Qui sont les quatre géants ?» Gaël Giraud: «Oh et bien vous les connaissez : BNP Paribas, Société Générale, BPCE Natixis et le Crédit Agricole. Donc c'est ça les quatre grands géants qui se partagent la part du lion sur le secteur bancaire français aujourd'hui, voilà. Donc, ils ne veulent pas de la concurrence, ils éliminent Triodos et ils rêveraient d'une monnaie digitale qui permettrait de tondre la laine sur le dos des Français sans que les Français puissent protester. C'est ça l'enjeu, vous voyez où on en est ? C'est ça un peu, à mon avis, les grands défis aujourd'hui, dans les mois et les années qui viennent.»



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