SOCIAL
Publié le 07 septembre 2024
Les enfants face aux écrans : « Nous sommes tous complices d'une tragédie qui se prépare », avertit Boris Cyrulnik
TRIBUNE
Boris Cyrulnik : une voix critique face à l'omniprésence des écrans
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre de renom et auteur de nombreux ouvrages sur la psychologie et les récits de vie, est une figure bien connue du grand public. Il a su se faire entendre grâce à ses apparitions médiatiques, notamment en tant que chroniqueur dans l'émission "Histoire d'Homme" sur FranceInfo. Dernièrement, Cyrulnik a été l'invité du média indépendant "ABC Talk TV", pour un entretien autour d'un thème qui lui est cher : "Résilience, donner sens à notre vie". Au cours de cette discussion, il a abordé un sujet brûlant d'actualité : l'omniprésence des écrans dans nos vies, et plus particulièrement leur impact sur les enfants.
Pour Boris Cyrulnik, l'utilisation des écrans chez les tout-petits est une catastrophe. Selon lui, avant l'âge de six ans, les enfants ne devraient pas être exposés à des tablettes ou des smartphones. Pourtant, il reconnaît que cette recommandation est rarement respectée. Cyrulnik souligne que "nous sommes tous complices d'une tragédie qui se prépare pour les petits enfants d'aujourd'hui". Les parents, souvent dépassés ou cherchant des solutions de facilité, ont tendance à donner des écrans à leurs enfants pour les calmer. Cependant, cette solution de confort aurait des conséquences désastreuses pour le développement des plus jeunes.
L’impact des écrans sur le développement des enfants
L'un des points centraux de l'analyse de Boris Cyrulnik est que les écrans bloquent le développement des enfants en bas âge. Il explique que, face à un écran, l’enfant adopte une posture passive. Fasciné par les lumières, les bruits et les images en mouvement, l’enfant reste absorbé sans pour autant apprendre quoi que ce soit d’essentiel pour son développement. Pour Cyrulnik, les écrans empêchent l’enfant d’acquérir des compétences fondamentales, notamment la capacité à décoder les expressions faciales, un élément crucial dans les interactions sociales. Or, ces mimiques jouent un rôle important dans la communication non-verbale et l’apprentissage des interactions humaines.
En outre, l’exposition aux écrans, selon Cyrulnik, constitue un obstacle à l’apprentissage du langage. Il insiste sur l'importance des échanges verbaux et des interdits préverbaux, ces petites règles tacites qui précèdent l’apprentissage du langage. Selon lui, ces interactions sont essentielles pour le développement cognitif de l’enfant. Le neuropsychiatre va même plus loin en affirmant que si les parents persistent à laisser les écrans entre les mains des enfants, cela pourrait conduire à des retards de langage généralisés.
Les conséquences d’un retard de langage
Boris Cyrulnik observe déjà les premiers signes de ce qu’il qualifie de "catastrophe" : de plus en plus d'enfants présentent des retards de langage. Et pour lui, il ne fait aucun doute que ceux qui échappent à ce phénomène sont ceux qui bénéficient de davantage d'interactions sociales avec leur entourage. À l'inverse, ceux qui ont du mal à s'exprimer sont, dans la majorité des cas, les enfants qui ont été massivement exposés aux écrans dès leur plus jeune âge. Cyrulnik met également en lumière les conséquences émotionnelles d’un tel retard : les enfants qui peinent à s’exprimer ressentent souvent une grande frustration en voyant leurs camarades plus à l’aise avec le langage. Cela peut engendrer un sentiment d’isolement et de tristesse chez ces jeunes.
Cette situation, selon Cyrulnik, révèle un paradoxe de notre époque : malgré les progrès techniques, les outils numériques, qui peuvent améliorer nos vies, risquent parfois de les dégrader, notamment chez les enfants. Selon lui, l'évolution technologique ne rime pas forcément avec progrès humain.
L’impact des écrans sur les adultes : l’engourdissement mental
Le neuropsychiatre n'oublie pas de mentionner que ce phénomène touche également les adultes. Il explique qu’au-delà d’un certain nombre d’heures passées devant un écran, celui-ci provoque une forme d’engourdissement. Cela s’explique par le manque de stimulation véritable, celle qui provient des interactions humaines directes, de la compagnie d’autrui et des expériences sensorielles réelles. Rester devant un écran trop longtemps, avertit Cyrulnik, finit par couper l’individu de la véritable nature de la condition humaine, faite de relations, d’émotions et d'échanges authentiques.
Pour Cyrulnik, ces constats sont alarmants. Si nous continuons sur cette voie, les écrans pourraient bien entraîner une altération profonde des capacités cognitives et sociales des générations à venir. Il en appelle donc à une prise de conscience collective et à une responsabilité accrue de la part des parents, des éducateurs, et de la société en général. Car selon lui, l’avenir de nos enfants en dépend.
Un appel à la vigilance
Boris Cyrulnik tire la sonnette d’alarme sur les dangers liés à l’usage excessif des écrans, notamment chez les jeunes enfants. Il invite les parents à repenser l’utilisation qu’ils en font et à privilégier les interactions humaines et les expériences de vie réelles, fondamentales pour le développement harmonieux des enfants. Face à la montée en puissance du numérique, Cyrulnik nous rappelle l’importance de rester vigilant et de protéger ce qui fait l’essence même de la condition humaine : le lien social, la communication et le développement par l’échange.
Ainsi, son message, empreint de bienveillance et d’inquiétude pour les générations futures, nous incite à reconsidérer notre rapport aux nouvelles technologies et à ne pas perdre de vue ce qui est essentiel pour la construction de l’être humain.
Par Tony Houdeville