SOCIAL
Publié le 18 septembre 2024
Pourquoi les agriculteurs s'apprêtent-ils à reprendre leur mouvement ?
OPINION
Une épidémie dévastatrice chez les ovins : la fièvre transmise par les moucherons
Depuis quelques mois, une épidémie particulièrement virulente touche les élevages de bovins et d'ovins en France, notamment dans la région de l'Ariège. Si les bovins, notamment les vaches, sont également affectés, ce sont les ovins – brebis et moutons – qui semblent le plus durement frappés. Cette maladie se caractérise par une fièvre intense, qui conduit à la perte des animaux en l'espace de quelques jours. Ce fléau est propagé par des moucherons, vecteurs de cette infection .
D’après les témoignages recueillis par le média "Basta", les éleveurs de la région font face à des taux de pertes alarmants, allant de 15 % à 60 % dans leurs troupeaux. La Fédération des ovins estime même que 70 % des troupeaux français sont désormais touchés par cette maladie. Une situation qui aurait pu être évitée, ou du moins atténuée, si des mesures préventives, comme une campagne de vaccination à grande échelle, avaient été mises en place plus tôt. En effet, l'épidémie n'est pas nouvelle : elle avait déjà refait surface en 2023.
Une gestion inégale de la vaccination entre le Nord et le Sud
Malgré les signaux d'alerte, la campagne de vaccination lancée par l'État s'est principalement concentrée sur le nord de la France, région qui abrite les plus grandes exploitations bovines destinées à l'exportation. Les autorités ont ainsi financé la vaccination de ces élevages, garantissant une protection contre l'épidémie. En revanche, dans le Sud, où l'élevage pastoral domine avec des petites exploitations, aucune aide n'a été apportée. Les éleveurs, déjà en difficulté économique, n'ont pas été remboursés lorsqu’ils ont dû acheter eux-mêmes les vaccins pour protéger leurs troupeaux.
Cette inégalité de traitement ne se limite pas aux vaccins. Les tests PCR permettant de vérifier l'état de santé des animaux ne sont pas non plus remboursés, laissant les éleveurs dans une situation précaire, sans soutien institutionnel. En l'absence de suivi de la part de l'État, les éleveurs, organisés en associations, ont dû prendre les choses en main et estimer eux-mêmes l'évolution de l'épidémie. Leurs calculs montrent que le nombre de cas double, voire triple, tous les dix jours.
Un cheptel ovin en déclin dramatique
La conséquence directe de cette épidémie est une diminution massive du cheptel ovin français. Les brebis qui meurent ne peuvent évidemment plus se reproduire, ce qui compromet le renouvellement des troupeaux. Selon les estimations des éleveurs, la taille du cheptel ovin pourrait diminuer de 30 % dans les prochains mois. Cette baisse a des répercussions financières majeures pour les petits exploitants, déjà fragilisés par un contexte économique difficile.
Et pourtant, aucune aide financière n'a été prévue par l'État pour compenser les pertes subies par les éleveurs. Cette situation est vivement dénoncée par la Confédération paysanne, qui critique une gestion inéquitable de la crise. Les petites exploitations sont laissées à l'abandon, tandis que les grandes structures, principalement orientées vers l'exportation, continuent de bénéficier d'un soutien massif. Cette inégalité révèle des dysfonctionnements profonds dans la politique agricole française.
La FNSEA : un acteur controversé dans la gestion de la crise
L'influence de la FNSEA, le principal syndicat agricole en France, est souvent pointée du doigt dans la gestion de cette crise. Le syndicat, qui contrôle en grande partie la politique agricole nationale, a une fois de plus favorisé les exploitations orientées vers l'export, au détriment des petits agriculteurs. Ces derniers, déjà fragilisés par les conditions économiques, sont aujourd'hui à la merci des épidémies et se rapprochent dangereusement de la faillite.
La FNSEA, en profitant du système actuel, tente de contenir la colère montante des agriculteurs. En coulisses, le syndicat se prépare à récupérer cette mobilisation et à s'en servir comme levier de pression pour obtenir davantage de subventions, notamment pour les céréaliers, et un assouplissement des contrôles sur les pesticides. Des actions similaires avaient déjà eu lieu en début d'année, où la FNSEA avait simulé une victoire pour les agriculteurs après des négociations avec le gouvernement, qui s'étaient révélées, au final, être des promesses non tenues.
Un gouvernement dans l’impasse et une colère qui gronde
La situation politique actuelle ne fait qu'aggraver la colère des agriculteurs. Avec la démission de Gabriel Attal et l'arrivée de Michel Barnier au poste de Premier ministre, ce dernier peine à former un gouvernement. Cette inactivité ministérielle est un véritable handicap pour les agriculteurs, qui attendent des mesures concrètes pour faire face à la crise. Mais, comme le soulignent de nombreux experts, il est impossible pour le gouvernement de concilier les intérêts des grandes exploitations orientées vers l'export et ceux des petits agriculteurs, majoritairement tournés vers le marché national.
La FNSEA tente de maintenir l'illusion d'une classe agricole unie, mais la réalité est bien différente. Les petits exploitants, qui subissent de plein fouet les crises sanitaires et économiques, se sentent abandonnés par les instances syndicales qui les représentent. La question qui se pose désormais est de savoir si la colère des agriculteurs continuera à être canalisée par les syndicats ou si elle finira par se détourner de ces structures jugées inefficaces.
Dans un contexte d'urgence agricole et de dégradation des conditions de vie des éleveurs, la mobilisation pourrait bien prendre une autre tournure dans les mois à venir.
Par Tony Houdeville