ÉCONOMIE

Publié le 03 janvier 2023

En 5 minutes, l'ex-patron de GDF nous explique pourquoi les prix de l'électricité s'envolent : « Ils ont cassé le système français »

Loïk Le Floch-Prigent était l'invité de l'émission « L'heure des pros » diffusée sur CNews ce mardi 3 janvier 2023.


“ Le système européen. ”

Pascal Praud : « Je voudrais que vous nous rappeliez le système d'électricité européen, ce qui se passe en Europe et comment on achète notre électricité. » Loïk Le Floch-Prigent : « Chacun produit son électricité et nous produisons, nous, un maximum d'électricité avec le nucléaire et l'hydraulique. C'est 85 % de l'électricité. Et nous le produisons à un coût qui est toujours le même, il n'a pas varié. » Pascal Praud : « 42 €, je crois ? » Loïk Le Floch-Prigent : « 42 €, peu importe, enfin, l'ordre de grandeur, c'est 42 €. Il n'a pas varié, ni sur le nucléaire, ni sur l'hydraulique. Donc ce qu'il s'est passé, c'est qu'on a voulu unifier un marché d'électricité, quelque chose qui n'existe pas. Pourquoi ça n'existe pas, un marché de l'électricité ? Parce que l'électricité, ce n'est pas un produit comme les autres, comme le gaz ou le pétrole qu'on stocke, ça ne se stocke pas. Quand on parle du " stockage " de l'électricité, en fait, on fait un abus de langage. On transforme un produit, mais on ne stocke jamais l'électricité. Donc on est toujours, avec l'électricité, dans une nécessité absolue d'avoir une production équivalant à une consommation. Dès que la consommation augmente, c'est-à-dire, lorsqu'il y a... Vous appelez, à ce moment-là, il faut appeler quelqu'un pour... » Pascal Praud : « Le système européen. » Loïk Le Floch-Prigent : « Voilà. Et on a fait ça en France avec... Et qu'est-ce qu'on faisait ? C'est-à-dire qu'on avait une tarification. On avait les tarifs de couleur, etc. Selon le moment où vous demandez l'électricité, elle est plus ou moins chère, puisque l'électricité la moins chère, c'est celle qui est la base, c'est le nucléaire. C'est le système français. »


“ Les Européens ont voulu absolument casser ce système français. ”

Pascal Praud : « Le système européen, expliquez-moi. » Loïk Le Floch-Prigent : « Les Européens ont voulu absolument casser ce système français qui nous donnait une compétitivité extraordinaire. C'est-à-dire qu'on avait l'énergie électrique, deux fois moins chère que nos voisins. » Pascal Praud : « Ça s'est passé quand ça ? » Loïk Le Floch-Prigent : « Ça s'est passé... Le switch s'est fait sous Sarkozy, 2010, avec l'Arenh. C'est-à-dire : qu'est-ce qu'ils ont demandé ? Ils ont demandé que : 1) on casse EDF en trois morceaux de manière à ce qu'on sépare bien la production, du transport et de la distribution. Et 2) que, pour créer un marché électricité – marché de l'électricité qui n'existe pas, puisque comme je vous l'ai dit, à chaque fois qu'on produit, il faut consommer, donc à priori il n'y a pas de marché. Mais il fallait créer un marché, parce que sous-entendu, un marché c'est bien pour le consommateur, parce que le consommateur trouve son beurre : dès qu'il y a un marché, c'est bon, la concurrence c'est bon, hein, c'est ça le principe de la Commission européenne. Donc, on est arrivé à créer un marché à partir d'une électricité vendue par EDF, 25 % sa production historique au prix coûtant, de manière à créer des fournisseurs qui vont passer des contrats avec les clients et qui ne font ni la production, ni le transport, ni la distribution. » Pascal Praud : « Mais pourquoi on a fait ça, si ce n'est pas dans notre intérêt ? » Loïk Le Floch-Prigent : « Pourquoi on a fait ça ? Parce que d'un côté, les Européens exigeaient qu'on le fasse et on était de plus en plus faibles dans la discussion. Et d'autre part, les Européens étaient contents de diminuer la compétitivité de la France, puisque nous vendions notre électricité supplémentaire à des prix qui nous rémunéraient de façon confortable. »


“ C'est simple : il faut sortir du marché de l'électricité. ”

Pascal Praud : « Aujourd'hui, on est d'accord que si on produisait notre électricité, si on était indépendants, et on pourrait l'être, à 85 %, c'est ce que vous dites... » Loïk Le Floch-Prigent : « Oui. » Pascal Praud : « ... ça nous coûterait moins cher, si on le faisait. Mais pourquoi alors, les Espagnols, ils sont sortis, eux, du système ? Mais pourquoi on ne sort pas de ce système ? » Loïk Le Floch-Prigent : « Alors ma solution que je donne depuis des années, mais que je donne encore plus depuis six mois, c'est simple : il faut sortir du marché de l'électricité. Le Portugal et l'Espagne sont sortis de ce marché. » Pascal Praud : « Mais pourquoi on ne le fait pas ? » Loïk Le Floch-Prigent : « Pourquoi on le fait pas ? Parce qu'on ne veut pas. » Pascal Praud : « Et pourquoi ? » Laurent Joffrin : « Il doit y avoir un argument, quand même. » Loïk Le Floch-Prigent : « Parce qu'on estime que nous sommes tellement mauvais, d'une façon générale, que nous sommes dépendants de l'Allemagne et qu'il faut obéir à l'Allemagne. » Pascal Praud : « Et pourquoi on obéirait à l'Allemagne ? » Loïk Le Floch-Prigent : « Eh bien, parce que... C'était la discussion que j'ai eue hier... » Pascal Praud : « Moi, on me dit, Bruno Le Maire, il est plutôt germanophile. » Loïk Le Floch-Prigent : « Parce que politiquement, c'est impossible de résister à l'Allemagne. Moi, je dis, au contraire, nous avons une position de force en France, parce que nous avons l'électricité la moins chère d'Europe, aussi bien en nucléaire qu'en hydraulique, et que, par conséquent, c'est une position de force. Cette position de force, il faut qu'on arrive à dire à la Commission européenne : stop ! »



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