« La liberté a déjà disparu en France » La brillante intervention de François Sureau sur la perte de nos libertés
François Sureau était l'invité de l'émission « Le grand entretien de 8h20 » duffusée le mardi 24 septembre 2019 sur France Inter.
« Un pays où on censure la pensée »
François Sureau : « Cette génération qui est la mienne, 50 ans après, vit dans un pays où le gouvernement peut choisir ses manifestants. Un pays où on continue d'enfermer les gens après l'expiration de leur peine. Un pays où on censure la pensée. Un pays où des juges ont qualité pour dire l'expression et censurer ou non l'expression d'une opinion. Un pays où il n'est pas nécessaire de passer à l'acte pour être condamnable, mais simplement d'en avoir l'idée. Rien de tout cela n'était concevable pour quelqu'un de ma génération. Et mon étonnement vient du fait que tout ceci s'est produit dans l'espèce de silence ouaté de la vie administrative auquel nous avons totalement cédé, à laquelle nous avons substitué notre idéal de la société politique elle-même. Vous savez, Maritain dit très très bien quelque chose dans un texte publié pendant la guerre. Il dit, au fond, il faut regarder attentivement ce que disent les hommes politiques. Quand un homme politique vous dit : " La liberté, certes, mais la sécurité, oui. " Ce qu'il vise, c'est la sécurité seulement. Quand un homme politique vous dit : " La sécurité, certes, mais la liberté. " Ça veut dire qu'il préfère la liberté. »
« La liberté a déjà disparu »
François Sureau : « Depuis 30 ans maintenant, nous entendons : " La liberté, oui, mais la sécurité. " Ce qui veut dire : la sécurité d'abord. La liberté a déjà disparu. Nous sommes déjà dans un pays dans lequel nous ne sommes pas totalement libres de publier ce que nous voulons. Un pays dans lequel nous ne sommes pas totalement libres de manifester, sauf à être contrôlés avant la manifestation par des représentants du parquet. Nous vivons dans le rêve d'une société de la perfection individuelle. Ce rêve provoque une société de la peur. Une société de la peur, où chacun a peur pour la perfection de sa propre vie, que tous les journaux, tout le monde, lui présentent sans cesse comme quelque chose de désirable. Cette peur génère à son tour une organisation sociale et collective de la peur. Et ce qui m'inquiète, c'est de voir que, depuis 20 ou 30 ans, l'ensemble de la société s'organise pour faire advenir cette organisation collective de la peur, et non pas, d'une certaine manière, un encadrement, si je puis dire, d'une société de l'aventure. »