ENVIRONNEMENT

Publié le 15 novembre 2021

Des incidents dissimulés dans une centrale nucléaire ? Un cadre décide de ne pas se taire

Un cadre de la centrale de Tricastin a décidé de déposer plainte contre EDF. Extrait du journal de 20 heures difffusé sur France 2 ce dimanche 14 novembre 2021.

«Je ne pouvais pas imaginer qu'ils puissent se soustraire à des concepts aussi fondamentaux que le respect de la sûreté nucléaire»

Laurent Delahousse: «En France, le nucléaire fait donc son retour clairement au cœur de la campagne présidentielle. L'atome qui fracture les candidats et le bras de fer n'est pas terminé entre partisans et opposants. C'est dans ce contexte qu'un cadre de la centrale de Tricastin a décidé de déposer plainte contre EDF. Il accuse sa direction de l'avoir placardisé pour avoir dénoncé la dissimulation d'incidents de sûreté.» Il a souhaité conserver l'anonymat le plus strict. Jamais un cadre aussi haut placé dans l'industrie nucléaire n'avait témoigné pour dénoncer certaines pratiques de sa hiérarchie. Des incidents qui touchent à la sûreté et, selon lui, volontairement dissimulés au coeur même de la centrale nucléaire où cet ingénieur occupe un poste de direction. Un cadre dans le nucléaire: «Je suis un pur produit du nucléaire et j'ai été éduqué par cette même entreprise. C'est un peu l'ironie de la situation. Je ne pouvais pas imaginer qu'une direction et des membres de la direction d'une centrale puissent se soustraire à des concepts aussi fondamentaux que le respect de la sûreté nucléaire.»

«Une inondation dans plusieurs locaux sur trois niveaux»

L'exemple le plus flagrant, dit-il, remonte à l'été 2018. Une inondation survient dans l'un des bâtiments électriques de la centrale du Tricastin. La fuite provient d'un robinet d'eau courante. Sur les images que nous nous sommes procurés, on voit l'eau ruisseler du plafond et rapidement envahir tout un local. Un cadre dans le nucléaire: «Là on est dans un local en zone nucléaire protégée et on se retrouve avec une certaine hauteur d'eau dans un local en zone contrôlée. Ce n'est pas un incident anodin.» Un document interne évoque d'ailleurs l'incident. Il s'agit du compte rendu d'un chef d'exploitation. Il parle d'une inondation dans plusieurs locaux sur trois niveaux. Le niveau d'eau atteignait 10 cm. Du matériel sensible au niveau sûreté est présent et 24 heures après sa découverte, cet aléa n'est toujours pas soldé. Un cadre dans le nucléaire: «La règle est claire : il faut immédiatement et sans délai, informer l'autorité de sûreté nucléaire.»

«On a voulu me faire taire»

Une inspection de l'ASN, le gendarme du nucléaire prévue de longue date se déroule le lendemain. Alors qu'il souhaite expliquer ce qui s'est passé, l'un de ses supérieurs aurait fait pression sur lui pour l'en dissuader. Un cadre dans le nucléaire: «Mon hiérarchique, directeur production, me demande une petite pause pour me parler à l'extérieur et il m'explique qu'il ne veut pas que je reste, que je n'ai rien à faire ici. Qu'il ne faut pas parler de cette inondation, donc je sors. On a voulu me faire taire.» Et voici le rapport rendu un mois et demi plus tard par l'ASN sur l'incident. Il n'est plus du tout question d'inondation mais d'un simple écoulement d'eau immédiatement arrêté. Un cadre dans le nucléaire: «À la lecture de ce rapport, on comprend que l'exploitant a indiqué à l'Autorité de Sûreté Nucléaire que cet événement avait duré quelques dizaines de minutes. Il y a clairement dissimulation de ce qui s'est passé.»

«Il y a des domaines où la culture du secret de l'omerta est extrêmement forte»

Des incidents qui auraient été minimisés, l'ingénieur en a dénoncé d'autres. Et depuis, il dit avoir fait l'objet d'une mise à l'écart. Il est en arrêt de travail. Avec ses avocats, il a déposé plainte contre son employeur, notamment pour mise en danger de la vie d'autrui et harcèlement. William Bourdon (Avocat): «Il y a des domaines où la culture du secret de l'omerta est extrêmement forte. C'est évidemment le cas de l'industrie nucléaire. Donc c'est ce qui fait que la démarche de nos clients a une dimension évidemment hors norme.» Sollicité, EDF précise que les bilans sûreté de l'ASN ne font aucun état de non-respect du principe de transparence. S'agissant des propos rapportés par un salarié, EDF ne fait pas de commentaire et en cas de sollicitation, se tiendra à la disposition des institutions judiciaires. Le cadre de la centrale nucléaire ne sait pas s'il retrouvera un jour son poste. Il espère que la justice lui reconnaîtra le statut de lanceur d'alerte.



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