SANTÉ

Publié le 11 décembre 2020

Big Pharma ou comment faire de l'argent avec la santé ?

L'interview choc du réalisateur Luc Hermann sur son documentaire «Big Pharma, labos tout-puissants»

«La puissance de lobbying»

Luc Hermann: «Il y a entre cinq et dix gros laboratoires mondiaux qui se partagent la grande majorité de tous les médicaments que l'on consomme, ce que les Anglo-Saxons appellent les big pharmas. Comment cette industrie est devenue ultra financiarisée ? C'est-à-dire que cette industrie, pour les plus grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux, est à présent en très grande partie gérée par la Bourse, gérée par les actionnaires. Ce sont des entreprises basées dans le monde entier et qui détiennent les brevets et le marché de la grande majorité des médicaments que nous consommons. C'est-à-dire que les grands grands laboratoires pharmaceutiques ont la puissance de négociation. La puissance de lobbying. Et aujourd'hui, ces big pharmas imposent, malheureusement, des prix extrêmement chers des médicaments aux consommateurs et au système de santé publique qui, au bout d'un moment, ne pourront plus rembourser tellement ces prix sont excessifs.»

«Ces laboratoires sont devenus des génies de la finance»

Jean-Pail Vernant (Professeur et hématologue): «L'Industrie pharmaceutique à l'époque, ce que j'appelle la Belle Époque, c'est-à-dire il y a 30 ou 40 ans, travaillait énormément. Le boulot était difficile. Et paradoxalement, alors que la recherche coûtait cher, faite par l'industrie, que le développement de ces molécules jusqu'à la mise sur le marché était extrêmement longue. Et bien, ces molécules sortaient à des prix, que je qualifierais de raisonnable. Et là, on vit une époque de folie totale.» Luc Hermann: «Ces laboratoires sont devenus des génies de la finance; en fait. Ils vont envoyer leurs représentants dans les grandes universités, faire leur marché, voir dès qu'une molécule commence à être prometteuse, ils vont mettre la main dessus. L'acheter quelquefois plusieurs milliards de dollars pour ensuite espérer avoir ce que les laboratoires pharmaceutiques appellent un blockbuster. C'est un terme que l'on utilise dans le cinéma, mais également dans l'industrie pharmaceutique, c'est-à-dire le médicament que le monde entier va alors acheter, sur lequel ils vont avoir 10 ans, 20 ans d'exclusivité avec un brevet exclusif.»

«C'est du chantage à l'emploi»

Luc Hermann: «Les laboratoires préfèrent, avec leurs bureaux dans les différents pays européens, négocier avec chaque pays. Et ces négociations, elles ne devraient pas l'être, ces négociations sont confidentielles et un pays comme la France est bien en peine de négocier face à cette puissance financière, cette puissance du lobbying, quelquefois, c'est du chantage à l'emploi, lorsque ces laboratoires emploient des employés en France et quelquefois c'est du pur chantage : notre médicament va sauver des vies, vous ne pouvez pas, vous, Etat démocratique, ne pas le rembourser. Mais les prix sont tellement faramineux qu'ils mettent en danger. Vraiment la conviction que nous avons, après plus d'un an d'enquête, ces big pharmas et ces pratiques financières mettent en danger la santé publique de nos grandes démocraties en imposant des prix qui sont excessivement chers. On le voit dans le traitement pour le cancer. Certains traitements pour le cancer, qui sont des traitements exceptionnels, reviennent à 320 000 euros par patient.»

«C'est aux Etats d'imposer des prix raisonnables»

Luc Hermann: «Les médecins français que nous avons rencontrés, les médecins américains, les professeurs américains que nous avons rencontrés, nous expliquent que dans un hôpital public, ces traitements ne dépasseraient jamais 50.000 euros. C'est déjà beaucoup d'argent, mais ils soignent certaines formes de cancer. Là, on est sur des prix qui sont délirants et ces entreprises aujourd'hui passent plus de temps à racheter des laboratoires publics, à racheter d'autres laboratoires qui ont des molécules, qui ont un intérêt sur le marché, plutôt que de faire de la recherche fondamentale pour la mission première d'un laboratoire pharmaceutique qui est de mettre sur le marché des médicaments qui peuvent nous soigner. C'est aux Etats d'imposer des prix raisonnables, que les laboratoires continuent à investir dans la recherche, dans le développement de nouveaux médicaments, mais à des prix raisonnables pour nos grandes démocraties, pour les pays du Nord et à des prix ultra raisonnables pour les pays du Sud, il faut un gendarme. Il faut que les sanctions soient extrêmement fortes.»



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