SANTÉ

Publié le 12 septembre 2021

Comment ce labo a organisé une pénurie artificielle de médicaments pour faire exploser les tarifs ?

Ce reportage de l'émission «Complément d'enquête» diffusée ce jeudi 9 septembre 2021 sur France 2 nous dévoile le scandale de la firme Aspen.

«Une série de tactiques, de stratégies pour augmenter les prix»

Pendant 4 ans, la Direction générale de la concurrence va enquêter sur Aspen. Elle vient de mettre au jour un vaste système de chantage utilisé par la firme pour faire flamber les prix de plusieurs anticancéreux, dans 25 pays en Europe. Rainer Becker (Chef d'unité de la Direction de la Concurrence de l'UE): «Dans notre enquête, on a trouvé qu'Aspen était prêt à utiliser une série de tactiques, de stratégies pour augmenter les prix. Et ça comprenait des menaces. On a trouvé un document interne qui résumait assez clairement la stratégie, pour toute l'Europe, de négociation avec les autorités nationales. L'approche était vraiment : " Accepter le prix demandé ou on retire le produit. "» La commission a récupéré des mails internes du laboratoire et peine à croire ce qu'elle découvre. Comme cette consigne envoyée par un cadre d'Aspen à tous ses commerciaux : " Les prix doivent être augmentés... C'est à prendre ou à laisser. Il n'y a pas d'alternative. Si les ministères de la Santé dans chaque pays n'acceptent pas les nouveaux prix, on retire les médicaments de la liste des produits remboursables ou on arrête d'approvisionner. Aucune négociation possible.

«C'est une priorité pour Aspen d'augmenter rapidement les prix de vente»

Rainer Becker: «C'était la stratégie paneuropéenne de négociation : " On y va, on augmente les prix et s'ils n'acceptent pas, on ne négocie pas. " C'est " Take it or leave it. " A prendre ou à laisser...» Ces menaces ont elles été mises à exécution ? En Italie, les pénuries d'Alkeran débute en 2013, bientôt suivies d'étranges augmentations de prix. L'Autorité de la concurrence est alertée. Son directeur, Andrea Pezzoli, crée une cellule avec trois enquêtrices, qui passent au crible toute la correspondance d'Aspen. Elles découvrent les méthodes de pression utilisées par le laboratoire pour spéculer sur les tarifs de ces anticancéreux. Comme dans cette lettre envoyée par Aspen à l'agence de santé italienne. Le début du bras de fer : " C'est une priorité pour Aspen d'augmenter rapidement les prix de vente. Si aucune décision n'est prise dans la limite de temps indiquée, nous procéderons rapidement à la suspension de la commercialisation des produits en Italie à partir de janvier 2014. "

«Si vous n'acceptez pas ma proposition, on quitte le marché italien»

Andrea Pezzoli (Directeur général de l'Autorité de la concurrence italienne): «C'était une sorte de chantage : " Si vous n'acceptez pas ma proposition, on quitte le marché italien. " Et les augmentations de prix qu'ils demandaient allaient de 300%, 400%, jusqu'à 1.500% pour certains traitements !» Officiellement, le laboratoire met en avant un manque de rentabilité. Et comme en France, il invoque des problèmes de production. Sous ce prétexte, Aspen met en place des quotas d'allocations des stocks par pays. Les anticancéreux sont rationnés. Début 2014, les stocks italiens fondent. Dans ce mail, les cadres d'Aspen s'inquiètent, ils sont peut-être allés trop loin : " Je dois vous indiquer que les quotas d'allocations pour les flacons et les comprimés d'Alkeran sont nettement inférieurs aux ventes moyennes des 8 derniers mois. Cela pourrait avoir un impact sur la disponibilité et l'efficacité des traitements. Si l'agence sanitaire italienne découvrait cela, elle pourrait l'utiliser à notre désavantage. " Andrea Pezzoli: «Ils ont créé des pénuries artificielles des médicaments sur le marché italien, en les justifiant avec leur système de quotas. Comme par hasard, juste pendant la négociation des prix, ils ont livré moins de médicaments sur le marché italien. Ça a été un levier très puissant pour forcer l'agence sanitaire à accepter l'augmentation des tarifs.»



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