SANTÉ

Publié le 09 novembre 2020

Un ancien dirigeant nous révèle les dessous de l'industrie agroalimentaire

Le récit incroyable de Christophe Brusset, ancien dirigeant au sein de groupes internationaux de l'agroalimentaire, qui nous parle des coulisses de l'industrie agroalimentaire. Il était l'invité de Ali Laïdi sur France 24 le 24 décembre 2018.

«C'est silence radio total de la part des industriels et des politiques.»

Christophe Brusset: «Auparavant, c'étaient des raviolis Leader Price, à l'époque, qui contenaient de la dinde à la place de boeuf. Mais à l'époque, ça n'avait absolument fait aucun scandale, aucun tollé, etc. Et moi, étant du milieu, j'avais cette affaire en tête. Quelques années après, on a la même chose. On a du cheval à la place du boeuf et là, par contre, c'est un scandale planétaire. Et là, je me suis dit tiens, la perception des consommateurs a changé. Les gens ne veulent plus se laisser manipuler, ils veulent la vérité. On leur dit qu'il y a un scandale et ils veulent savoir, aller jusqu'au bout des choses. Donc, je me suis dit la mentalité a évolué. Et ensuite, comme je suis l'affaire, je vois défiler des politiques à la radio, à la télé, nous expliquer que tout est sous contrôle, que c'est magnifique, que l'agroalimentaire en France est la meilleure du monde, qu'l n'y a rien à voir.» Ali Laïdi: «Vous n'y croyez pas?» Christophe Brusset: «Comme à chaque fois. Et en face, moi qui viens du milieu, qui travaille dans l'agroalimentaire depuis 25 ans, je me dis oui mais, il y a quand même des choses qui ne vont pas et ça, c'est silence radio total de la part des industriels et des politiques. Je me dis que quelqu'un va bien dire quelque chose et personne ne dit rien. Et là, je me suis dit bon, moi, peut être que je peux dire des choses. Et là, c'est là où j'ai eu envie d'écrire et de décrire ce que j'avais vu.»

«La même malbouffe partout dans le monde»

Ali Laïdi: «Ce qui est important si on reprend votre exemple de viande de cheval, c'est ce qu'a montré ce cas là, c'est une espèce de géopolitique de la malbouffe, ce que vous décrivez très bien dans votre livre.» Christophe Brusset: «Effectivement, j'ai dénoncé, c'est une chose, mais ce que je souhaite, c'est expliquer et éduquer pour que les consommateurs puissent faire des choix, militer et demander des améliorations en connaissance de cause. Aujourd'hui, on est dans un monde mondialisé, donc le cheval, le bœuf, enfin n'importe quel ingrédient voyage, est produit dans différentes usines. On fabrique le même produit partout dans le monde et il est distribué à échelle mondiale. On voit les mêmes marques partout dans le monde, les mêmes sodas, les mêmes hamburgers, la même malbouffe partout dans le monde. Et j'ai voulu expliquer effectivement comment était organisée une entreprise agroalimentaire, comment on réfléchissait, comment était la mentalité dans ces industries là. Pourquoi en arriver à une telle situation catastrophique aujourd'hui? Pourquoi la malbouffe tuait autant de gens? Pourquoi l'industrie refuse complètement d'évoluer, de changer, de se remettre en cause? Pourquoi les politiques sont autant complices de l'industrie? Donc tout ça, j'ai voulu l'expliquer avec mes connaissances mais, j'ai mis trois ans à écrire ce livre parce qu'aussi j'ai voulu étayer ce que j'avais vu, ce que je connaissais, de données, d'études et de preuves, de comptes rendus de la DGCCRF, etc. Tout ce que j'ai dit, j'ai voulu le prouver par des faits, par des articles de journaux et ça m'a pris trois ans.»

«Cela rend l'industrie du l'agrobusiness totalement opaque»

Ali Laïdi: «Donc, on se rend compte que la soi-disant traçabilité, c'est à dire des choses qui sont produites dans un coin de l'Europe, sont achetées par des courtiers ou des négociants dans un autre coin de l'Europe, transitent dans un autre pays, tout ça en fait, cela rend l'industrie du l'agrobusiness totalement opaque.» Christophe Brusset: «En fait la traçabilité, il faut bien avoir conscience que si on veut bien travailler, si on veut faire la traçabilité et la suivre, c'est parfaitement possible et c'est assez facile, en réalité. Je suis, moi, acheteur agroalimentaire depuis 25 ans, j'ai un troisième cycle en achat agroalimentaire, enfin bref, je suis ingénieur agroalimentaire. Quand je veux suivre un produit, du miel, une viande, etc. Je vais physiquement voir mes fournisseurs. Je vérifie les papiers. Dans cette affaire de lasagnes au bœuf,si j'avais été moi, le fabricant final, je n'aurais pas pu me faire avoir, sauf si j'avais voulu me faire avoir. J'ai importé du miel, par exemple, de Chine, c'est un produit que je connais bien, j'en parle souvent puisque que c'est un scandale qui a démarré avant que je m'en occupe, pendant je m'en occupe et qui continue encore aujourd'hui avec la complicité des pouvoirs publics.»

«Il y a un cheval sous le boeuf»

Ali Laïdi: «Donc un très mauvais miel, bourré de pesticides.» Christophe Brusset: «C'est ce que je dis, c'est ce que le UFC-Que choisir dit, c'est ce que la Commission européenne dit. On constate, mais on ne fait rien. C'est magnifique. On constate que la situation est catastrophique, mais surtout, on ne fait rien. Donc, ce que je veux dire, c'est que la traçabilité n'est pas le problème. On peut réellement suivre un produit de A à Z. Il suffit de se déplacer, quand je travaillais en France, j'allais voir mes fournisseurs dans tous les pays d'Europe, j'ai voyagé dans presque tous les pays du monde. On se déplace physiquement, on va voir. Mais ce que je veux dire, c'est que souvent, quand un produit est fraudé, frauduleux, on le sait. En tant que spécialiste des achats, on connaît parfaitement son marché. On connaît les fournisseurs, leur réputation, on connaît les prix, on connaît les qualités. Quand quelqu'un vient à vous et vous dit j'ai de la viande de bœuf 30% moins cher que le prix du marché, il y a un loup.» Ali Laïdi: «Signal rouge!» Christophe Brusset: «Il y a un cheval sous le boeuf.»

«La DGCCRF est au courant»

Ali Laïdi: «Et pourtant, ce produit là, vous l'avez acheté, vous l'avez mis en rayon. C'est ça qui est incroyable, notamment sur le thé, ce que vous décrivez.» Christophe Brusset: «Sur le thé, sur le miel, sur la tomate de Chine.» Ali Laïdi: «Donc, vous alertez les autorités françaises en disant ce thé n'est pas bon, il est pesticidé à mort mais, on vous laisse le mettre en rayon.» Christophe Brusset: «Mais je n'ai pas besoin de les avertir, les autorités sont au courant, la DGCCRF est au courant. Quand ils ont fait des études, quand UFC-Que choisir a fait des études en 2014, ils ont trouvé 30% du miel qui était fraudé. Donc, quand la Commission européenne a fait des études l'an dernier, ils ont trouvé que 20% du miel était fraudé donc vous voyez. Entre 20 et 30% du miel qui entre en Europe, essentiellement du miel chinois, est frauduleux. On le sait.» Ali Laïdi: «Donc vous dites, c'est l'une de vos idées reçues : il ne faut pas croire que l'Etat ou les autorités vous protègent.» Christophe Brusset: «Exactement, il faut bien avoir conscience qu'avec la puissance de l'industrie, là, on parle de l'industrie agroalimentaire mais c'est pareil pour la banque, pour l'électronique, pour la chimie, on l'a vu avec les pesticides ; l'argent coule à flots dans l'industrie. Les entreprises agroalimentaires et les multinationales sont extrêmement riches. On peut financer des lobbies, des gens qu'on paye très bien. A Bruxelles, vous avez 30000 lobbies et vous avez 15000 employés de la Commission européenne donc vous avez deux lobbyistes pour un gars qui travaillent pour Bruxelles.»



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